Dominance et hiérarchie en éducation canine

«Mon chien est dominant», «le maître doit être le chef de meutes»… Autant de phrases entendues dans la rue ou à la maison, qui se basent sur l’existence de la dominance chez le chien. Qu’en dit la science ?

Qu’est-ce que la dominance en éthologie ?

En éthologie, il existe trois types de dominance.

  • La «dominance réelle» nait de conflits. Le gagnant est alors dominant et le perdant soumis.
  • La «dominance formelle» ne nait pas d’interactions négatives. Dans ce type de dominance, certains individus utilisent volontairement un répertoire comportemental lié à la soumission afin d’éviter les conflits. Les individus dominants n’exigent pas de comportements de soumission de la part des autres individus. La dominance formelle peut être très tolérante.
  • La troisième sorte de dominance est l’«habileté compétitive», la hiérarchie se forme alors autour de la motivation à accéder aux ressources.

Lorsque des individus sociaux vivent à plusieurs, la dominance peut amener à la formation d’une hiérarchie. Différentes formes de hiérarchie existent, je vous présente ici les deux plus simples :

Un dessin montrant une hiérarchie linéaire entre des poules. A domine B qui domine C. 
Un autre dessin montre une hiérarchie circulaire entre des vaches. A domine B qui domine C qui domine A.

La dominance existe-t-elle ?

Le consensus scientifique estime désormais que la dominance n’est pas un trait de caractère chez le chien domestique. En revanche, des situations de dominance ou des comportements de dominance peuvent subvenir. Alors, comment ça marche ?

Dominance entre chiens

Comment s’organisent les meutes de loups ?

Les idées reçues sur la dominance et la hiérarchie entre les chiens viennent des études sur le loup. Notons déjà qu’un chien (Canis Lupus Familiaris) n’est pas un loup (Canis Lupus). Les différences morphologiques et comportementales sont importantes et déjà suffisantes pour ne pas chercher à tout prix à les comparer. Si vous êtes intéressés par l’origine des erreurs de dominance en éducation canine, ce paragraphe est pour vous. Sinon, vous pouvez passer au suivant.

En 1970, David Mech, zoologiste spécialiste du loup, publie une étude sur le comportement des loups en captivité. La meute est décrite comme hiérarchisée d’une façon très rigide. Plus tard, d’autres observations démontrent que ce modèle n’est pas applicable en dehors du cas bien précis du loup en captivité vivant avec des individus qui ne font pas partie de sa famille. David Mech revient sur son analyse :

Le mea culpa de David Mech : le loup alpha n’existe pas vraiment
Un dessin montre le modèle hiérarchique des meutes de loup. La hiérarchie est affiliative et basée sur l’âge : les enfants dominent leurs parents de sexe opposé. Quant aux louveteaux, ils sont dominés par leurs grands frères et grandes soeurs.
En réalité, les relations hiérarchiques dans une meute de loups libre sont basées sur l’âge et l’affiliation. Pas si simple !

Aucune agression de dominance n’a été observée dans une meute sur une période de 13 ans (David Mech 2003). La même chose sur des loups captifs la même année. Chez les loups, la dominance est de type formelle et n’est donc pas liée à de l’agressivité.

Comment s’organise un groupe de chiens ?

Les observations de groupes de chiens féraux montrent que leur organisation diffère de ceux des loups. En effet, les groupes de chien se sont pas des familles, contrairement aux meutes de loup qui sont composées des parents, des jeunes et des louveteaux. Les agressions restent extrêmement rares et concernent la reproduction, la protection des chiots, ou l’accès à un territoire, bien que les invités soient parfois autorisés.

Les chiens évoluent en dyades, c’est-à-dire par deux. Un concept qu’il faut toujours garder en tête lors des sorties.

Certaines études montrent que l’accès à certaines ressources, notamment alimentaires, peut être soumis à une priorité d’accès parmi les membres d’un groupe de chiens. Cette forme de dominance a été évaluée comme «tolérante» chez le chien, c’est-à-dire que les ressources sont partagées, parfois même de façon égalitaires dans le groupe. Les agressions restent rares.

La dominance formelle existe entre chiens, mais est tolérante, bien que variable entre les races. Les individus de rang inférieur exhibent d’eux-mêmes des postures de soumissions. Ils ne sont en aucun cas sollicités par les dominants pour le faire. Aucun lien n’a pu être fait entre la dominance et les agressions, qui semblent totalement décorrélées. La hiérarchie s’établit majoritairement en fonction de l’âge.

Mais alors pourquoi mon chien agresse les autres ?

Les agressions entre chiens n’ont peu voire pas de relation avec un quelconque statut social. Les relations entre chiens sont expliquées par le contexte et les précédentes rencontres uniquement (van Doorn 2003). Les agressions sont provoquées par apprentissage. Ainsi, aucun chien n’est dominant, et aucun ne naît agressif. La bonne nouvelle, c’est que ce qui est appris peut être désappris !

Dominance entre chiens et humains

À ce jour aucune étude n’a pu trouver de relation hiérarchique entre des animaux d’espèces différentes.

Comme pour les relations entre chiens, les relations entre humains se forgent en fonction du contexte et des précédentes rencontres. Bien s’entendre avec son chien, cela s’apprend, et cela prend du temps.

Les comportements qui sont généralement confondus avec la dominance entre un chien et son humain d’attachement ont en réalité été appris ou récompensés d’une certaine façon.

En agissant de façon à montrer à un chien que l’on est «dominant», on lui semble menaçant sans raison. De tels comportements sont à la base d’une relation conflictuelle avec son chien et entraînent des difficultés de cohabitation.

Attention maltraitance animale dans cette vidéo. Cet acte n’a aucun sens pour le chien, puisqu’un individu dominant ne peut pas exiger de comportements de soumission. Cela n’engendre que de la peur et de l’incompréhension.

Comment s’expriment secrètement les idées reçues sur la dominance

Au quotidien, l’idée de «dominance» et de «maître» est parfois si ancrée que nous pouvons être amenés à l’appliquer sans nous en rendre compte. Voici quelques façons dont elle s’exprime :

  • lorsque nous forçons notre chien à se mettre dans une position (par exemple assis, couché…) ;
  • lorsque nous crions ;
  • si nous frappons ou utilisons du matériel éducatif basé sur la peur ou la douleur.

Ces méthodes éducatives entachent le lien de confiance entre nous et nos chiens. Elles sont autant de blessures dans notre relation et peuvent créer de l’anxiété. Elles peuvent également empirer les comportements gênants.

Clive Wynne a récemment proposé l’idée de super-dominance, c’est-à-dire le contrôle total des ressources. Il s’applique dans les situations suivantes :

  • lorsque nous contrôlons l’accès à l’eau ou à la nourriture ;
  • lorsque nous empêchons notre chien de se reproduire.

C’est pourquoi selon lui nous n’avons pas besoin de montrer notre dominance, car nous sommes déjà dominants sans le faire exprès.

Comment éduquer son chien différemment ?

Acheter ou adopter un chien est un acte réfléchi. Nous devions toujours nous interroger sur nos motivations. Souhaitons-nous un chien car nous les aimons ? Ou avons-nous besoin de donner des ordres et de contrôler un être vivant ?

La première chose que je conseille aux propriétaires de chiens est d’apprendre comment ils communiquent. L’observation et la compréhension de l’autre peuvent aider à résoudre presque toutes les situations.

Ensuite, nous pouvons commencer à repenser totalement notre relation avec nos amis canins.

Pour obtenir la coopération de votre chien, la balance des interactions est un modèle efficace.

Un dessin montre une balance de Reberval. Le chien classe toutes les interactions que nous avons avec lui en positives ou négatives. Plus la balance penche du côté du positif, plus on a de chances qu’il nous écoute.

Si vous pensez que votre chien est dominant, ou si vous ne comprenez pas son comportement, il faudra alors prendre rendez-vous avec un comportementaliste validé par le MfEC.

Approfondir

Lectures :

Dominance, mythe ou réalité, de Barry Eaton

Études

Dominance in domestic dogsduseful construct or bad habit? , John W. S. Bradshaw 2009 et son correctif Dominance in domestic dogs—A response to Schilder et al. (2014)

A fresh look at the wolf-pack theory of companion-animal dog social behavior, Wendy van Kerkhove 2004

The Concept and Definition of Dominance in Animal Behaviour, Carlos Drews 1993

Beiträge zur Sozialpsychologie des Haushuhns., Schjelderup-Ebbe, T. (1922)

Wolf behavior: reproductive, social and intelligent, David Mech 2003

Wolf Social Ecology, David Mech 2003

Agonistic behaviour of free-ranging dogs (Canis familiaris) in relation to season, sex and age, S Pal 1998

Assessment strategy and the evolution of fighting behaviour, SG Parker 1974

Dominance in relation to age, sex, and competitive contexts in a group of free-ranging domestic dogs, Cafazzo 2010

The Indispensable Dog, Clive Wynne 2021

Dominance in Domestic Dogs: A Quantitative Analysis of Its Behavioural Measures, van der Borg 2015

Dominance relationships in a group of domestic dogs (Canis lupus familiaris), Trisko 2015

Age-graded dominance hierarchies and social tolerance in packs of free-ranging dogs, R. Bonanni 2017

Interview

Dominance in dogs is misunderstood, par une vétérinaire comportementaliste de l’Université de l’Illinois