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Le SOS
Décembre 2019
Jour-3
Ma vie avec Nora commence un mercredi après-midi. J’ai pas mal de travail que j’aimerais bien finir avant les vacances de Noël mais je suis fatiguée. Petite pause. Repos. Procrastination. Netflix mais sans vraiment regarder, internet mais sans vrai objectif. Cela finit souvent par une petite visite sur le site de la SPA. Pour voir si tel ou tel à finalement été adopté, s’il y a des nouveaux. Un chien qui part, ça fait plaisir. Un chien qui reste, semaine après semaine, c’est injuste, triste. À force de les suivre, on les connaît bien.
Je sais. On l’a dit, on ne veut plus de chien. On en a déjà un et on avait pourtant dit qu’on n’en voulait plus. Après qu’on a perdu notre berger allemand emporté en quelques jours, par un cancer fulgurant. On a dit qu’émotionnellement on n’avait plus la force. On ne voulait plus s’imposer ça. C’est trop dur.
Et puis Darwin est arrivé pour les vacances et les vacances ont duré et finalement, petit à petit, on avait un nouveau chien. Enfin, pas tout à fait un chien, un husky.
Vous savez comme on dit, tel chien, tel maître. Et c’est vrai que je me reconnais un peu dans mes chiens, mais c’est surtout vrai que je reconnais très bien les autres dans leurs chiens ! Ma petite faiblesse ce sont les cockers spaniels. Je les appelle les chiens de la joie de vivre. Leur caractère enjoué et spontané, leur optimisme, leur spontanéité, il faut bien l’avouer, le contraire de moi. Mais peut-être qu’il y a une part de tout cela à laquelle j’aspire secrètement. Je me retrouve dans leur franchise et leur honnêteté cachée. Leurs bêtises nous font plus sourire que râler. On sait bien que c’est toujours notre faute et pas la leur, qu’ils ont juste fait ce qui était normal, saisir une opportunité.
J’ai eu toutes sortes de chiens, et je les ai tous aimés. Ils étaient tous très différents mais tous également de bons chiens.
Mon fils me demande comment ça se fait qu’on ait toujours des chiens sympas ? Je lui dit qu’on les choisit mais en fait c’est plutôt l’inverse et la plupart du temps à peine. Après y avoir pensé, la conclusion est que presque tous les chiens sont à priori de bons chiens, c’est à dire s’ils n’ont pas été cassés par les mauvais traitements et même dans ces cas là il reste quelque chose au fond d’eux qui peut revenir, quelque chose de bon, de la confiance. Cela peut prendre du temps, cela peut être fragile, cela peut ne pas être fiable, mais qui est à blâmer ? Chez nous les chiens sont calmes et gentils.
Mercredi après-midi, je fais une petite pause avant de me remettre au travail. Denis soudain me montre une photo sur le Facebook de la SPA.
Nora est une SOS. Tous les chiens abandonnés sont un peu dans cette situation de SOS mais certains se voient décerner l’appellation officielle. Pour mériter cette distinction, il suffit d’être un cas désespéré, vieux, malade, cassé. Mais surtout vieux et malade. Nora a dix ans, elle est obèse, elle boîte, elle a une conjonctivite chronique et une cataracte.
Nora à dix ans.
Et là tout s’enchaîne. Je dis On y va, il me répond oui. Cinq minutes plus tard, on est en route.
La rencontre
Je ne vais pas à la SPA comme on irait dans un magasin de jouets. Je déteste aller à la SPA, ça ne me fait pas plaisir, c’est au contraire une épreuve émotionnelle. Le bruit et surtout l’odeur. C’est comme se prendre des gifles de violence, c’est se confronter à la souffrance et à la cruauté ordinaire de l’humain.
On attend dans le froid, dans l’odeur de l’urine qui lève le cœur. On demande à voir Nora. Signe du destin, elle n’est pas déjà adoptée. Donc elle vient d’arriver, elle est à l’infirmerie, elle a une conjonctivite et un autre problème pas très clair. J’ai l’esprit un peu embué par les émotions. On dit banco et là il y a le petit rituel de la balade.
Nora. Nora est énorme. Nora est négligée. Nora a les yeux pleins de pus. Nora est désorientée et la SPA, comme pour moi, c’est trop pour elle. Nora est trop mignonne.
Nora a un aspect un peu négligé.
Il fait un temps plutôt couvert. Froid et humide. Mi-décembre. Tout est boueux, tout est mouillé. Nora est réticente mais on arrive cependant à lui faire faire un semblant de promenade le long du champ. Dans la tête il y a un tourbillon. Est-ce que vraiment je m’apprête à adopter un chien? Est-ce que c’est raisonnable? Est-ce que ce n’est pas encore Denis qui va se taper tout le boulot ? Mais est-ce que quand on dit qu’on ne veut plus de chien, on dit juste ce qu’on pense que l’autre veut entendre pour se convaincre que c’est ce que l’on pense ?
En me conduisant à la SPA, je sais bien que c’était déjà accepter l’éventualité d’une adoption.
La question doit être posée. Qu’est ce que tu en penses ? On saute ?
On est venu pour ça. Nora est mignonne. Elle nous plaît. On ne lui déplaît pas.
Adoptée.
Il faudra encore revenir avec Darwin pour être sûr de leur compatibilité.
Jour-2
Denis est allé faire les présentations avec Darwin. No problem. Si ce n’est qu’ils voulaient qu’il détache Darwin pour éviter qu’il devienne agressif. Nora doit voir le vétérinaire et être stérilisée. Ils appelleront pour prévenir quand on pourra venir la chercher. Accessoirement Denis prend les mensurations de la demoiselle pour qu’on puisse s’occuper de son trousseau.
Jour-1
Ils ont appelé. On pensait qu’il faudrait attendre une semaine et tout à coup c’est demain. On peut venir la chercher.
L’accueil
Accueillir un nouveau chien, c’est en premier lieu lire dans sa tête. Il faut se débarrasser de tout fantasme ou toute préconception sur ce qu’il devrait être car il faut tenir pour certain qu’il aura son propre idiosyncratisme. Il ne sera pas comme le chien qu’on a eu avant ni comme le chien qu’on a idéalisé. Il faut l’accepter. Je ne dis pas que c’est facile ou évident. C’est au contraire très difficile de dire au chien, voilà, je ne sais pas qui tu es, mais qui que tu sois, je veux te connaître, te soigner, et faire tout ce que je peux pour te donner la vie qui te rendra heureux.
Jour J samedi
Il nous faut
- un panier
- un collier ou un harnais
La bouffe n’est pas une urgence absolue, la SPA fournit un paquet de croquettes pour faire la transition.
Jour 2 dimanche
Au premier jour de Nora chez nous, on a déjà compris la vie qu’elle a vécu. Donc, le canapé, c’est dans ses habitudes, mais pas le lit. Les tapis pas trop, elle préfère les paniers. Elle est habituée à partager les encas de sa famille (c’est dur de résister à un cocker). En revanche, elle ne connaît pas la promenade, dix mètres et elle a déjà fait ce qu’elle avait à faire et tourné les talons. La cuisine est sa pièce préférée s’il y a un humain dedans.
La première promenade est un peu déroutante. Nora ne marche pas comme un cocker. Elle reste au pied. Un cocker normal, ça fourrage. Ça marche en zig zag, la truffe à terre, en trottinant à une dizaine de mètres. C’est la normalité pour sa race. Marcher au pied est contre sa nature. Non pas qu’il ne puisse apprendre à le faire. Il peut mais il faut lui laisser des moments de cocker.
Les problèmes de santé
Nora est obèse. Sur le coup, elle nous a semblé bien rondelette, un vrai petit tonneau et puis en quelques minutes on ne la voyait plus si ronde. Le problème n’est pas d’ordre esthétique, car elle porte bien ses rondeurs. L’inquiétude est plutôt d’ordre médical car le surpoids n’est bon ni pour sa boiterie ni pour sa cataracte ni pour son métabolisme. Nous sommes confiants qu’avec un apport contrôlé et une activité physique restaurée, son poids peut se rapprocher d’un poids sain. Elle pèse quand même 19,3 kilos, la route est longue. Elle a quand même bien du mal à monter sur le canapé sans aide. Quant aux escaliers, c’est un peu effrayant pour nous de se demander si le cul va pas passer par-dessus la tête. Sans compter les impacts sur les membres antérieurs dont celui qui est douloureux.
L’infection des yeux est plus ou moins sous contrôle grâce aux gouttes. On espère retarder la progression de la cataracte en supprimant les excès alimentaires, mais d’expérience nous savons que ce n’est pas un handicap insurmontable. Finalement, le chien voit surtout avec son nez.
La boiterie est intermittente et uniquement à froid. Elle n’empêche pas une activité normale et là encore on espère qu’une perte de poids arrangera la situation.
Comme chez les humains, la santé est un tout et les déséquilibres entraînent d’autres déséquilibres.
L’usure de l’âge est inexorable, on ne peut que l’accompagner.
Mais c’est vide !
Jour 6 vendredi
Nora a perdu 100g. En 4 jours. Pour perdre 5 kilos il faudra à ce train là deux cent jours ! Quand même. Le repos ce n’est pas non plus très favorable à la perte de poids mais il faut bien que le corps se répare et il y a des priorités.
Dans l’après-midi nous constatons que la boiterie a disparu. En route donc pour une petite balade, trois quatre kilomètres à la tombée du jour.
Nora est très enjouée. Elle fourre son nez partout et même elle court. On l’a changée ou quoi ?
La famille
Jour 7 samedi
Une semaine avec Nora.
Elle a déjà ses petites routines qui commencent à tourner.
Levé vers 6h puis petit tour de soulagement dans le jardin. 1mn.
(Arrivée de Darwin)
Retour à la maison, petit déjeuner. 1 min.
Câlins à volonté.
Gouttes dans les yeux (protecteur de la cornée). Les yeux n’ont pas coulé et ne sont plus rouges (mais toujours gris).
Sieste digestive sur le canapé.
Sans commentaire.
Jour 17 mercredi
Un cocker qui s’est bâfré avec du pain de hamburger brûlé. Quinze jours de régime soigneusement calculé, ruinés d’un coup.
Jour 18 jeudi
C’est pas mignon ça?
Jour 53 vendredi
Moment très significatif dans la relation qui se noue entre Nora et nous, sa curiosité l’ayant emberlificoté
dans une branche de rosier, elle se fige et attend. Elle n’aboie pas, n’appelle pas à l’aide, juste elle
attend, confiante qu’elle peut compter sur nous, que l’on fait attention à elle et qu’on va la sortir de là. Ce
qui évidemment se produit très rapidement, puisque nous avons tout de suite compris son langage
corporel.
Cette relation qui se renforce jour à jour à quelque chose de précieux car il ne peut pas y avoir de
mensonge avec un chien. Il vous voit pour ce que vous êtes. Il vous lit.
Petite récidive.
Jour 54 samedi
Le soleil brille, promenade exceptionnelle dans un cadre qui l’est tout autant. C’est comme d’emmener les enfants au parc d’attraction. Le bonheur de la découverte de lieux nouveaux, la stimulation de la découverte.
Il s’agit en fait d’une promenade que l’on fait quelquefois, qui est plus longue et qui ne comporte pas de lieux forestiers. Elle nous conduit également en bord de Seine dans un cadre sauvage avec des oies, des cygnes, des poules d’eau et des ragondins. Ça s’appelle parc tout en étant de fait une réserve semi-sauvage. On y croise rarement plus de deux ou trois personnes le matin.
Nora est entourée d’un halo de bonheur irradiant. Tout est une fête. Elle veut tout voir, tout sentir, tout explorer mais en nous surveillant du coin de l’œil. Après tout, il ne s’agirait pas de se perdre.